Le Gouvernement Barnier a engagé sa responsabilité en déclenchant l’article 49.3 de la Constitution dans le cadre du vote du Projet de Loi de Finances de la Sécurité Sociale.
LFI a déposé une motion de censure signée par tous les groupes constituant le Nouveau Front Populaire. Le RN a également déposé une motion de censure signée par ses seuls députés. Elle sera examinée seulement si celle de la gauche est préalablement rejetée.
Comme le RN a annoncé qu’il voterait en faveur de la motion déposée par LFI, le gouvernement Barnier a de fortes chances d’être renversé. Avec Élodie Roux de Bézieux de Syntagme et moi-même de Dissensus nous vous apportons des éléments de réponse à ces trois questions :
1- Quelles conséquences pour le budget de la France ?
2- Quelles conséquences pour les dispositions contenues dans le projet de loi de Finance 2025 ?
3- Quelles conséquences sur les propositions de loi et les projets de loi en cours de discussion à l'Assemblée nationale et au Sénat ?
1 - Quelles conséquences pour le budget de la France ?
En cas de vote en faveur de la motion de censure, le budget de la Sécurité Sociale (PLFSS) est réputé rejeté et les travaux parlementaires en séance publique s’arrêtent (sauf les travaux des commissions).Concernant le projet de loi de Finances pour 2025 (PLF), la France ne pourra donc pas non plus continuer son examen. Si bien que la loi de Finances ne pourra donc pas être promulguée dans les temps (avant le 1er janvier).
Il existe néanmoins une solution qui évite tout « shutdown » à l’américaine. L’article 45 de la Loi Organique relative aux Lois de Finances permet au Gouvernement de déposer un projet de loi de finances spéciale l’autorisant à percevoir les impôts jusqu’à l’adoption d’une loi de finances (selon les barèmes en vigueur dans la loi de finances de l'année passée) et à répartir les crédits correspondants à l'exercice antérieur. Autrement dit s’appliquerait le budget 2024 en 2025.
Le délai d'examen est contraint pour permettre la promulgation de la loi avant le début de l'année d'exercice du budget. Il est cependant possible que le budget ne soit pas promulgué avant le 1er janvier si :
le Parlement n'est pas parvenu à respecter le délai d'examen ;
le Parlement a rejeté le projet de loi de finances ;
le Conseil constitutionnel a censuré le texte voté par le Parlement.
Si le Parlement a expressément rejeté le projet de loi de finances, le recours à une ordonnance n'est pas possible.
Le projet de loi de finances spéciale doit être déposé avant le 19 décembre et il est discuté selon la procédure accélérée pour une promulgation avant le 1er janvier.En cas de non-adoption de la loi de finances spéciale (fort peu probable, Marine Le Pen ayant annoncé qu’elle la voterait, la France se retrouverait sans budget, sans possibilité de percevoir les impôts, d’engager les dépenses et d’emprunter.
Dans ce cas, la président de la République pourrait recourir à l’article 16 de Constitution, qui lui permet d’exercer des « pouvoirs exceptionnels » lorsque « les institutions de la République (...) sont menacées d’une manière grave et immédiate ». Dans ce cas, le chef de l’État pourrait prendre des mesures budgétaires par décret.
2- Quelles conséquences pour les dispositions contenues dans le projet de loi de Finance 2025 ?
Le rejet du PLF 2025 va conduire à plusieurs conséquences pour les Français et pour les entreprises :
La non-indexation du barème de l’impôt sur les revenus sur l’inflation va conduire l’augmentation de l’impôt pour 17 millions de français et 380 000 foyers supplémentaires vont payer des impôts.
Pas d’augmentation des budgets des ministères de l'Intérieur, de la Justice et des Armées.
Pas de nouvelles mesures en faveur des agriculteurs non plus.
Exit les nouvelles mesures fiscales comme la contribution des grandes entreprises et
des très hauts revenus.
La proposition de loi destinées à assouplir les ZAN ne sera pas débattue.
Sont nulles et non-avenues les mesures sur la rénovation énergétique et le
logement : le montant de MaPrimeRénov’ est reconduit au niveau de 2024 alors qu’il était prévu de l’augmenter. Les dispositions sur les locations de courte durée et touristiques sont nulles et non-avenues. Le calendrier du diagnostic de performance énergétique (DPE) reste inchangé puisque la disposition visant àassouplir le calendrier d’interdiction de location des passoires thermiques est suspendue sine die avec celle de la Loi de finance. Le calendrier actuel est maintenu : les logements classés G ne pourront plus être loués à partir du 1er janvier 2025. Enfin, cette motion de censure enterre l’élargissement du PTZ à tout le territoire et de l’exonération sur les donations pour l’achat d’un logement neuf.
Le rejet du PLFSS 2025 a des conséquences encore plus incertaines car selon un rapport sénatorial "Aucune disposition constitutionnelle ou organique ne prévoit (...) ce qui se passe en cas de rejet du projet de loi de financement de la Sécurité sociale par le Parlement".
En tous cas, les nouvelles mesures, celles qui sont prévues dans son édition 2025, comme la revalorisation des retraites et la baisse des exonérations patronales, ne pourraient pas s'appliquer.
Selon Frédéric Valletoux, président de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée Nationale, "Le système continuera de fonctionner, il n'y aura pas de bug au 1er janvier". La situation sera gelée. Exemple : la taxe soda, que le PLFSS 2025 prévoit d'augmenter. "Si le texte est rejeté, la taxe continuera de s'appliquer, au niveau prévu en 2024", indique-t-il. Frédéric Valletoux s'inquiète, en revanche, des conséquences financières d'un rejet du PLFSS : "Sans les mesures qu'il contient, on risque de constater une aggravation forte du déficit de la Sécurité sociale, qui pourrait passer de 16 à 24 voire 25 milliards d'euros en 2025."
3 - Quelles conséquences sur les PPL (proposition de loi) et PJL (projet de loi)
Un principe général : les travaux en commissions sont maintenus même les commissions d’enquête. En revanche, aucune séance publique ne peut se tenir sans ministre au banc.
La proposition de loi de Laurent Duplomb sur les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur est examinée avant le vote de la motion de censure. Elle pourra donc être adoptée en commission des Affaires économiques du Sénat. En revanche, son passage en séance publique sera reporté en janvier 2025.
Le projet de loi d’orientation agricole, adopté fin mai par l’Assemblée nationale, peut être débattu en commission comme prévu les 10 et 11 décembre prochain. L’examen en séance publique pourrait lui être reporté en raison des discussions probables d’une nouvelle loi de finances.
Les circulaires ICPE et le décret concernant l’Anses annoncés par la ministre de l’Agriculture n’ont pas été encore signés. Or le passage en affaire courante du Gouvernement dès ce soir, ne permettra plus de les adopter. Seules les urgences doivent être traitées. Il n’est même plus possible au Gouvernement de donner une instruction aux Préfets. Le Secrétaire général du Gouvernement doit vérifier chaque décision.
L’inscription des propositions de loi et des projets de loi à l’ordre du jour dépendra des Conférences des présidents de chaque Chambre parlementaire ainsi que de la volonté du nouveau Gouvernement. Les débats en séance publique ne pourront reprendre qu’à partir du moment où il y a un ministre non-démissionnaire au banc sauf urgence exceptionnelle comme le vote de la loi spéciale.
Elodie Roux de Bézieux (SYNTAGME) et Raphaël Eulry (DISSENSUS)
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